Ajuster les sautereaux

__________________________________________________________

L’art de bien tempérer

Par Bart Brashers, avec l’aide de Paul Morrissett

Traduction P. Josse, avec l’aimable autorisation d’Anna Abraham

Publication initiale dans Nyckel Notes n°1, Octobre 1995, révisé et republié dans le n° 18, Février 2000

Article original : http://www.nyckelharpa.org/resources/nh_tangents.html

Chaque sautereau (la petite pièce de bois, perpendiculaire à chaque touche, qui vient toucher les cordes) d’un nyckelharpa doit être ajusté (« accordé ») pour que l’instrument sonne juste. La partie inférieure du sautereau est cylindrique et s’insère dans la touche de telle sorte qu’il soit possible de le faire pivoter dans un sens ou dans l’autre afin de modifier l’endroit où il touchera la corde et, ainsi, de règler finement la hauteur de la note qui sera produite. Il est nécessaire d’ajuster les sautereaux sur tous les nyckelharpa ; les professionnels le font chaque fois qu’ils changent les cordes. Il est important de le faire au moins une fois par an. Les variations de l’humidité ambiante peuvent aussi rendre cet ajustage nécessaire. On voit souvent Anders Mattsson et Puma manipuler leurs sautereaux jusqu’à ce que l’accord soit satisfaisant.

Vous pouvez vous rendre compte de la nécessité d’un ajustage en jouant des doubles-cordes. Jouez des notes à l’octave, ou un Do à vide sur la 2° corde avec un Mi sur la 1°, ou encore un Sol sur la 2° avec un Si puis un Ré sur la 1°. Ecoutez bien si les intervalles sont justes. Vous pouvez aussi jouer des notes à l’unisson avec quelqu’un d’autre (à condition que les cordes à vides soient accordées !) et entendre si les deux instruments s’accordent bien.

Ajuster les sautereaux

__________________________________________________________

Avant tout, il faut vous assurer que le chevalet est en place. La distance entre le bord du sillet et le chavalet doit être d’environ 40 cm. Ensuite, il faut choisir un schéma de tempérament (voir infra) ; pour cet exemple, j’ai choisi le modèle d’accordage Olsson. Avec un accordeur électronique, accordez la corde de La (1°) 2 centièmes (ndt : sur le cadran de l’accordeur) en dessous du La 440. A l’aide d’une pince, faites pivoter le 12° sautereau de la première corde afin d’obtenir, là aussi, un La (ndt : à l’octave) qui soit 2% trop bas. Il vaut mieux essayer de tenir le sautereau le plus bas possible, pas à son extrémité supérieure, afin de limiter les risques de torsion. Placez bien le plat des mâchoires de la pince contre les méplats du sautereau. J’utilise habituellement une pince dont les mâchoires sont lisses. J’en ai vu certains utiliser des pinces dont les dents des mâchoires avaient été limées ou entourées de ruban adhésif afin de ne pas abîmer le bois. Si la note produite est trop grave, tournez le sautereau vers le chevalet, et inversement si vous la trouvez trop aiguë.

Répétez la même opération pour chacune des autres cordes et observez les sautereaux que vous avez ajustés. Sont-ils plutôt centrés ou, au contraire, plutôt tournés vers le chevalet ou vers la tête ? Le cas peut être difficile si beaucoup d’entre eux sont très loin de la position médiane (ndt : perpendiculaires à la corde, dans l’axe de la touche). En effet, s’ils s’appuient sur la corde dans cette position, ils auront plutôt tendance à pivoter et le son ne sera ni clair ni puissant. Si les sautereaux sont trop loin de l’axe, essayez de modifier la position du chevalet avant de faire un nouvel ajustage. Si les sautereaux sont, initialement, trop tournés vers le chevalet, il faut rapprocher celui-ci de la tête (pour raccourcir la longueur vibrante de la corde). Il est normal que la corde de La ait une longueur vibrante différente de celle du Sol (c’est le cas de nyckelharpas anciens). Mesurez, notez bien les mesures sur un papier et laissez les dans la boite de l’instrument pour le prochain ajustage... Sur mon nyckelharpa, la longueur vibrante de la 1° corde (La) est de 404 mm, et celle de la dernière (Sol) est de 400 mm.

Maintenant que le chevalet est bien positionné, vous pouvez ajuster tous les sautereaux de la première corde en vous référant à la table Olsson ci-dessous. Vérifiez souvent que la corde à vide reste bien accordée. Ne jouez les notes qu’avec un seul coup d’archet, vers le bas (talon-tête), le coup d’archet inverse étant souvent plus aiguë. Passez ensuite à la 2° corde (Do) en l’accordant 4 centièmes plus bas à vide, et ajustez les sautereaux. Idem avec les autres cordes.

Le bois gonflant avec l’humidité, il n’est pas raisonnable d’accorder votre instrument dans une atmosphère tropicale (à moins de le laisser dans une pièce climatisée une semaine avant...). Vous risqueriez de vriller le sautereau, celui-ci étant gonflé d’humidité et tournant mal (surtout si vous le tenez par l’extrémité supérieure). Dans ce cas, vous n’auriez plus qu’à démonter le clavier et à changer le sautereau. Le mieux serait d’avoir des sautereaux de rechange dans la boîte. Si vous n’en avez pas, écrivez moi et je vous en ferai parvenir quelques uns.

Accordage quotidien

__________________________________________________________

Chaque fois que vous prenez votre instrument pour jouer, accordez votre La 2 centièmes plus bas, votre Do 4 centièmes plus haut et votre Sol 2 centièmes plus haut. Vérifiez l’accord en jouant des doubles-cordes avec les intervalles que vous privilégiez.. Trouvez les meilleurs compromis pour que ces intervalles soient les meilleurs. Puis, en supposant que vous ayez le temps et que vous soyez suffisamment au calme, accordez vos cordes sympathiques, en fonction de vos cordes mélodiques plutôt qu’avec un accordeur.

Schémas de tempérament

__________________________________________________________

Tempérament juste (Ptolemaic)

Tonique	2^nd	3rd	4th	5th	6th	7th
1/1	9/8	5/4	4/3	3/2	5/3	15/8

Ce schéma est fondé sur les écarts à la tonique des notes de la gamme diatonique. Les 3 accords majeurs, Do, Fa, Sol, sonnent naturellement (à +- 2 centièmes près). Toutes les tierces majeures sont dans un rapport 4 :5 :6, (ex Do-Mi-Sol, ou Fa-La-Do) ou dans un rapport 3 :4 :5 si la quinte majeure est placée à la fin (ex Sol-Mi-Do ou Ré-Sol-Si). On considère cet accordage comme parfait puisque tous les accords et les intervalles sonnent vraiment bien, parfaitement en fait, pour l’oreille humaine. Il n’y a pas de « battements » entre les sons, et les mélodies sonnent majestueusement. Le problème est que cela ne fonctionne que dans une seule tonalité et que dès que l’on change les intervalles sont décalés et faux.

Tempérament égal

Intervalle*	rapport à l’intervalle juste
Quinte	2 centièmes plus bas que la quinte juste
Tierce majeure	14 centièmes plus haut
Tierce mineure	16 centièmes plus bas

* tous les intervalles sont les mêmes (égaux)

Les accordeurs électroniques utilisent cette échelle à tempérament égal qui a été imaginée pour que les instruments puissent jouer dans toutes les tonalités en sonnant suffisamment bien. L’écart entre chaque note est toujours le même quelle que soit la tonalité. C’est ce qui fait que le piano sonne aussi bien dans toutes les tonalités, ce qui est important pour qui veut changer de tonalité plusieurs fois dans la même pièce. C’est ce qui fait, aussi, que le piano sonne « également » mal dans toutes les tonalités (ndt : le « clavier bien tempéré » de Bach doit s’entendre comme un clavier « pas trop mal tempéré »). Les instruments frettés comme la guitare utilisent aussi ce tempérament. Si on joue une tierce majeure sur un piano ou une guitare, l’intervalle est 14 centième plus haut que l’intervalle naturel (juste). C’est ce qui fait aussi qu’il est difficile d’accorder la 2° corde d’un banjo. On ne peut obtenir à la fois une tierce (corde à vide) et une quinte (3° case) avec le Sol (3° corde à vide).

Les violonistes peuvent (et ne s’en privent pas) ajuster la position des doigts pour tempérer leurs gammes. Beaucoup de nyckelharpas anciens, dans les musées, semblent ne pas être accordés avec un tempérament égal, comme le piano, et on ne peut être certain que cela ne soit que le fruit aléatoire du temps ou des chocs.

Le fait est que toutes les tonalités ne sont pas usitées avec le nyckelharpa. On ne joue que dans certaines (Do, Fa, Sol, Ré, ....) et jamais dans d’autres (Sol#, Do#,...), sauf pour de très rares musiciens, et pas toujours volontairement. On peut donc ajuster le tempérament de manière à privilégier ces tonalités usuelles. Dans la mesure, par exemple, où l’on ne joue jamais en Fa#, il n’y a aucune raison de privilégier cette tonalité plus que celle de Fa , Do ou Sol.

Le schéma de tempérament Olsson (ou Vallotti)

John Olsson, un « cantor » et un amateur de musique traditionnelle (et un chercheur dans ce domaine) de Björklinge a élaboré une méthode d’accordage des sautereaux qui privilégie les tonalités de Do, Sol et Fa (les plus communes dans la musique traditionnelle de l’Uppland). Il a découvert que cette méthode était connue de longue date et mise en oeuvre sur les orgues dès le XVII°s (le répertoire de l’orgue se rapprochait, par certains côtés, de celui du nyckelharpa). C’est aussi la méthode sur laquelle s’appuient beaucoup d’accordeurs de piano (avant l’avénement des accordeurs electroniques). Les quintes sont plus éloignées de la note juste, ce qui fait que les tierces et les septièmes s’en rapprochent. C’est un compromis.

Dans le premier article que j’avais écrit, en Octobre 1995, j’avais, à tort, attribué cette méthode à Eric Sahlström et l’avais nommé « shéma d’accordage d’Eric ». Olov Johansson m’a dit qu’Eric n’était pas aussi rigide dans sa manière d’accorder et le faisait de façon différente pour chaque nyckelharpa. Il tombait parfois sur un shéma Olsson, mais Olov ne pense pas qu’il utilisait un accordeur electronique.

La première ligne du tableau contient toutes les notes de la gamme chromatique, de quinte en quinte. La deuxième ligne représente l’écart à donner par rapport à la note juste apparaissant sur l’accordeur. 100 centième représentent un demi-ton et l’on voit donc que les écarts sont très petits. La troisième ligne montre quelle tonalité (pas la note) est privilégiée, laquelle sonnera le mieux.

Par exemple, dans le schéma Olsson, la tonalité de Do sera bien équilibrée quand celle de Fa# ne le sera pas (une chance, on ne l’utilise jamais !). La note La doit être accordée 2 centièmes en dessous de ce qu’indique l’accordeur, la note Do 4 centièmes plus haut, etc...

Le schéma de tempérament de Bart (une variante de la méthode Olsson)

J’ai joué beaucoup de morceaux en La et en Ré par la suite, avec la méthode Olsson qui privilégie les tierces et les quartes. La nuance un peu aigre des intervalles me gênait et j’ai travaillé sur une petite variante du schéma Olsson. En fait, j’ai simplement décalé la 2° ligne du tableau d’un cran vers la droite. Cet accordage donne les meilleurs résultats en Sol, puis en Ré et Do, puis en La et Fa, etc.....(la tonalité de Do# est celle qui sonnera le moins bien). On privilégie donc d’abord les tonalités de Ré et La plus que celles de Fa et Sib, par rapport à la méthode Olsson. Cette méthode fera mieux ressortir que celle d’Olsson les tonalités « violonistiques » de Ré et La.. Cerise sur le gâteau, il est plus facile de s’accorder sur le La du violon (ou, à l’inverse, de lui donner ce La puisqu’il a moins de cordes à règler...).

Le schéma de tempérament de Bach (pas trop mal tempéré)

Ce schéma est sans doute assez proche de celui qu’utilisaient Bach et ses contemporains ; il représente ce que l’on appelait « bien tempéré » dans le « clavier bien tempéré ». Curieusement, les tierces sonnent juste (rapport de 5/4 par rapport à la tonique) et tous les autres intervalles de la gamme diatonique s’écartent du rapport 5/4 (certains plus aiguës, d’autres plus graves). Le principal inconvénient est que les altérations (dièses et bémols) s’écartent de la note juste, jusqu’à 21,5 centièmes parfois ! C’est trop pour que ça sonne bien.

Le schéma de tempérament de Sören Åhkers

D’accord, ce schéma désaccorde plus ou moins les sautereaux et les cordes sympathiques par rapport à l’accordeur ! Les sympathiques sont toujours un peu plus basses que ce que donnent les sautereaux. Olov Johanson (du célèbre groupe Väsen) accorde lui aussi ses sympathiques de cette manière, ce qui prouve que ce n’est pas complètement insensé. L’idée est de ne pas laisser les sympathiques couvrir la mélodie en sonnant trop fort et en donnant ainsi une « purée » générale. Olov évoque aussi souvent le fait de ne pas avoir de réponse instantanée des sympathiques, préférant un délai de réaction plus long.

L’autre différence importante, ici, est que c’est le seul schéma qui ne soit pas fondé sur la loi mathématique, mais plutôt sur la physiologie de l’oreille humaine et la façon dont sonne un nyckelharpa. Sören a élaboré cette technique en accordant à l’oreille jusqu’à ce que cela sonne bien, et en notant ensuite les écarts à la note juste (sous forme de centièmes) obtenus. Il a retrouvé globalement les mêmes résultats en répétant l’exercice avec Peter Puma Hedlund. Il pense que c’est comme ça que le nyckelharpa sonne le mieux.

Accords et intervalles

Paul Morrissett a fait des calculs pour les accords (doubles cordes) de quelques-uns des schémas évoqués. La note la plus basse de l’accord était toujours considérée comme la tonique (0 centième d’écart, par définition). Les intervalles de la tonique à la quinte (notés 5th), de la tonique à la tierce majeure (+3rd), de la tonique à la tierce mineure (-3rd), de la tierce majeure à la quinte, et de la tierce mineure à la quinte sont alors « faux » par rapport à l’intervalle « juste ». Le tableau suivant montre l’importance de ces décalages.

Pour les accords de Do, Fa et Sol, le schéma Olsson , dont les quintes sont 2 centièmes plus bas, autorise des tierces plus basses de 8 centièmes (ce qui s’approche de l’intervalle juste).Par rapport à méthode Olsson , la méthode de Sören parait très bien pour la tonalité de Do, mais moins intéressante pour les tonalités de Sib, Fa, Sol et Ré et mauvaise pour les tonalités de Mib et Do mineur (ce qui est dommage pour ceux qui jouent des Ödetorpvalsen).

Une autre manière d’utiliser ce tableau peut être de compter le nombre de cases rouges et/ou jaunes et de comparer avec le nombre de cases vertes et/ou bleues. Ou alors de comparer la Somme des Erreurs (somme des écarts, en centièmes) dans les cases qui ne sont pas grises ?

On peut d’abord voir que les deux méthodes sont meilleures que le tempérament égal, les cases vert/bleu (mieux) étant en plus grande nombre que les cases rouge/jaune (moins bien). La méthode Sören a plus de case équivalentes au tempérament égal (cases blanches). En fait, il y a à peu près autant de cases « mauvaises » (rouge/jaune) que de cases « bonnes » (vert/bleu). Malgré le fait que la méthode Olsson contienne plus de cases « mauvaises » que la méthode Sören, le nombre de ses cases « bonnes » est néanmoins plus élevé. Le total des erreurs est aussi moins important dans la méthode Olsson, quoique dans un rapport assez faible (il n’y a que 13% d’erreurs en plus dans la méthode Sören)

Mille mercis à Paul qui a fait les calculs et m’a transmis les résultats. Vous pouvez aussi un outil en Java (ndt : voir le lien dans l’article original) pour calculer les écarts et les comparer à l’accord juste (et pour écouter)

Tableau combiné

Finalement, il m’a semblé que les tableaux ci-dessus étaient assez difficiles à utiliser dans la mesure où il fallait d’abord rechercher la note dans une suite de quintes pour retrouver son écart à la note juste.

Voici donc un tableau récapitulatif, reprenant les précédant. Je l’ai imprimé, puis découpé et mis dans mon étui.

NdT :

- cet article est traduit de l’américain, avec l’aimable autorisation d’Anna Abraham, webmaster de l’American Nyckelharpa Association http://www.nyckelharpa.org/

- j’en ai bavé !